Le grimoire

La mission était claire : entrer, voler le grimoire et repartir. Oui. Cette mission était des plus faciles et serait réalisée en l’espace de quelques minutes. Les plans de la bibliothèque avaient été étudiés avec soin comme l’emploi du temps des employés et la ronde des gardes. Rien n’avait été laissé au hasard et l’échec pouvait mener à de très lourdes conséquences.

La nuit était tombée depuis de nombreuses minutes, permettant ainsi de dissimuler les silhouettes dans l’obscurité. Comme prévu, le réverbère qui donnait sur la bibliothèque était éteint ainsi que la vitrine. A l’intérieur, aucune lumière, aucune présence. Et à l’extérieur, une ombre qui s’approchait de la porte avec élégance et habilité. Quelques secondes d’immobilité rythmées par le simple cliquetis d’un outil métallique dans une serrure avant le grincement sonore de la porte d’entrée. Prudente, l’ombre se faufila par l’ouverture, évitant de faire résonner la clochette qui révélerait sa présence. Elle observa l’endroit, un instant, avant de s’engager dans l’allée principale.

C’était dans la salle des archives, cachée aux yeux du monde, que le grimoire était dissimulé depuis des dizaines d’années avant que le commanditaire ne le retrouve. Tel un félin sur ses gardes, l’ombre s’avança avec précaution, prenant garde à ne toucher aucun élément et à ne laisser aucun indice sur sa présence en ce lieu. Instinctivement, au détour d’une allée, elle leva les yeux vers une caméra : elle savait qu’elles avaient été désactivées et le point rouge éteint le lui confirma. Elle continua son ascension et sentit une goutte de sueur rouler sur sa joue. Son accoutrement composé d’une veste moulante, de gants, d’un bonnet et d’une écharpe qui lui remontait sur le nez lui tenait chaud, mais hors de question de les retirer : le risque de se faire découvrir et de laisser un indice en retirant un de ces vêtements était trop grand.

Elle arriva devant une étagère, contre un mur, en renfoncement, et jeta un nouveau coup d’œil vers la caméra. Aucun voyant rouge. Elle soupira de soulagement avant de se dresser, droite, devant la masse d’ouvrages. Elle devait être attentive et dans le noir, sa vision n’était pas optimale, l’obligeant à forcer sur ses capacités naturelles. Se souvenant de l’emplacement du faux roman, elle le scruta et esquissa un sourire en en reconnaissant la tranche. Effectuant le moins de gestes possible, elle fit un pas en avant, tendit le bras et de son index, abaissa le livre.

Aussitôt, un craquement retentit. Soucieuse qu’un des gardes l’ait entendu, la silhouette recula dans l’obscurité, observant avec émerveillement l’étagère se décaler et laisser entrevoir un passage. Et dire qu’elle croyait que cela n’arrivait que dans les films. Curieuse, mais toujours sur ses gardes, elle s’avança et entra dans la pièce cachée. Un véritable trésor se trouvait ici, mais elle n’avait – malheureusement – pas le temps de s’y attarder pour l’admirer. D’après les plans qu’elle avait mémorisé, le grimoire se trouvait sur une étagère, en hauteur, mais ouvert sur porte-livre en argent. Au milieu de la salle, éclairée seulement d’un fin faisceau de lumière de la lune qui filtrait par la vitrine, elle levait les yeux vers le haut des nombreux meubles qui la peuplait.

Ses recherches furent fructueuses quand elle aperçut l’ouvrage imposant dont les feuilles volaient doucement au rythme de la climatisation. Un soucis s’offrit malgré tout à elle : elle ne pouvait pas l’atteindre sans grimper sur quelque chose. Et elle ne pouvait bouger aucun objet ou meuble dont la trace pourrait l’accuser du vol de ce grimoire.

Ainsi, debout, elle resta immobile, cherchant une solution. Rien ne lui permettrait d’atteindre l’objet que convoitait l’homme qui l’avait engagé. Mais elle n’avait pas le choix sinon, c’était sa carrière, sa réputation et sa paye qui allait lui passer sous le nez. Cette mission était simple, claire. Mais seul cet élément n’avait été anticipé.

Elle rumina un moment tout en gardant son calme. Il y avait forcément un élément, quelque part, qui lui permettrait d’atteindre ce livre sans éveiller trop l’attention. Cela prendrait simplement plus longtemps que ce qu’elle avait prévu initialement. Elle se détourna de l’étagère et fit demi-tour. D’après l’heure, un garde devait passer sous peu devant la vitrine de la bibliothèque. Elle retraça son chemin jusqu’à un tabouret qu’elle avait aperçu lors de son ascension, proche du bureau du bibliothécaire, et s’en empara avec la plus grande prudence. La lenteur de sa marche faisait battre son cœur à tout rompre, mais elle ne pouvait imaginer l’objet cogner et éveiller l’attention des gardes vers elle.

Soulagée, la silhouette revint dans la salle des archives et posa délicatement le petit tabouret. Elle y grimpa et pu, enfin, attraper le grimoire. Un sourire égaya son regard. La mission était bientôt achevée.

Elle descendit toujours avec une attention sans faille et commença à sentir ses muscles se détendre à mesure qu’elle prenait conscience de sa réussite. Elle alla reposer le tabouret à sa place, tenta de retrouver le même angle qu’il avait lorsqu’elle l’avait déplacé, et ferma la salle des archives en prenant soin de ne faire aucun bruit.

Mais elle n’était pas encore sortie de la bibliothèque. Comme prévu, elle vit le garde à l’extérieur, à quelques mètres, seulement, du bâtiment. Elle ne pouvait sortir maintenant. Le grimoire contre son torse, elle attendit, dans l’obscurité, brisant le silence avec sa légère respiration. Ce moment fut interminable et lorsqu’il disparut enfin, elle put rejouer son arrivée en sens inverse. Elle fit attention à la clochette, referma soigneusement la porte d’entrée et releva l’écharpe plus haut sur son visage, prenant soin de protéger l’ouvrage entre ses bras.

Sa mission était terminée. Il ne restait plus qu’à rejoindre sa planque, contacter le commanditaire et lui remettre en mains propres le grimoire en échange de l’argent qu’il lui avait promis. Rien ne pourrait lui arriver à présent : elle était hors de danger.

La nuit était douce. Le vent ne soufflait pas. La lune brillait, haute dans le ciel, éclairant les rues de sa lueur blafarde. La silhouette respira longuement l’odeur de la ville endormie. Et puis, elle disparut à travers une des multiples portes d’immeubles qui s’étalaient sur le bord de la route.

A l’intérieur du studio qu’elle utilisait comme lieu d’échange entre ses clients et elle, il faisait une chaleur étouffante : cinquième étage, sous les combles, une toute petite lucarne en guise de vue sur la ville ; tout était combiné pour l’empêcher de respirer. Elle s’affala dans son vieux sofa grinçant et posa enfin le grimoire afin de libérer ses mains et retirer les couches de vêtements qu’elle portait. Ses joues étaient rouges et lorsqu’elle enleva son bonnet, ses cheveux électriques se levèrent et suivirent la trajectoire du couvre-chef. Elle détacha sa chevelure blonde du chignon qui la tenait en place et la laissa se libérer, cascadant jusque dans le bas de son dos. Elle en retira quelques nœuds avec ses doigts fins et laissa le confort l’emporter.

Dans un élan de curiosité, ses yeux bleus se posèrent sur le grimoire. Sa couverture en vieux cuir et son saphir reflétant son néon lui faisaient penser à ces vieux livres de sorcières qui peuplaient les romans de son enfance. Rien ne l’empêchait de le feuilleter avant qu’elle n’appelle le commanditaire. Un sourire sur ses lèvres roses, elle l’ouvrit avec précaution et y lu les premières phrases. Une écriture à l’encre noir sur du papier jauni par les âges et mangé par endroit s’étalait sur plusieurs lignes en langue latine. Elle ne pu en comprendre aucun mot, ne l’ayant jamais apprise, mais continua de tourner les pages quand un mot attira son regard. Sans savoir vraiment pourquoi, elle se racla la gorge et prenant une voix grave, commença à lire, avec sans doute une mauvaise prononciation, les phrases qui s’enchaînaient.

Les yeux rivés sur les mots, elle lut à haute et intelligible voix cette langue qu’elle ne comprenait pas et fronça les sourcils quand, au troisième vers, elle vit son néon clignoter. Inquiète, mais pas superstitieuse, elle continua et avant de terminer, un courant d’air froid la fit frissonner. Elle acheva sa lecture ; tout redevint normal. Soulagée, elle soupira et rit de bon cœur. Elle se sentait ridicule. Elle ferma violemment le grimoire et se leva. Tendant la main vers le placard, elle en sortit un verre qu’elle remplit d’eau fraîche et se retourna en buvant une grande gorgée. Elle recracha l’eau aussitôt entrée dans sa bouche et lâcha l’objet qui alla se fracasser par terre. Dans un réflexe, elle attrapa un couteau derrière elle et le pointa sur la silhouette rougeâtre qui se tenait au milieu de son studio.

L’homme, très grand, semblait observer son propre corps. Il prit le col de son trench coat noir, remit en place sa cravate sur sa chemise blanche et esquissa un sourire. De profil, elle trouva qu’il avait du charme avec son nez allongé, ses petits yeux sombres et sa barbe bien taillée. Ses cheveux noirs ramenés en arrière dégageaient son visage fin. Il tourna la tête vers elle, un sourire aux lèvres, et s’approcha.

– Merci de m’avoir libéré.

Avant qu’elle ne puisse prononcer le moindre mot, il posa deux doigts sur son front et elle tomba à terre. Son couteau glissa sous le meuble de cuisine et du sang coula de ses narines, de ses oreilles et de sa bouche. L’homme fronça le nez en regardant le cadavre et s’en détourna. L’excitation à son paroxysme, il prit le grimoire et en caressa la couverture. Et après avoir offert un dernier sourire à la jeune femme étendue par terre, baignant dans une flaque rouge, il fit claquer ses doigts et disparut.

Texte écrit dans le cadre de l’ID2Mars 2018. Thèmes : Bibliothèque – Apprendre

Leave a Reply

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.